Les amis russes à qui j'en parlais étaient souvent sceptiques sur la réussite du projet (à part Nadia, toujours enthousiaste!). Certains évitaient les commentaires et pour d'autres, il paraissait important de m'avertir : « C'est de l'imprudence, de l'inconscience, c'est dangereux …. », « Viens plutôt passer des vacances chez nous ! ». Une jeune russe de Tikhvin m'a même dit « j'aurai de tes nouvelles à la télévision ! »
Bien sûr, dans nos têtes, le projet est bouclé. Cela m'amuse et je pense à ces mots de Mark Twain « Il ne savait pas que c'était impossible, alors il l'a fait ! ». Voici le circuit prévu à vélo :
bizarre, la forme du tracé, ça ressemble à un point d'interrogation …
… qu'est ce que ça veut dire ?
3 jours avant, j'avais réservé sur internet le train qui m'a transporté de Saint-Peter à Moscou. Le prix en platzkart est 27 €, moins cher qu'un hôtel. Dans les wagons, il y a des cloisons avec des couchettes, mais il ne s'agit pas de compartiments fermés. Alors, si on est curieux, on peut regarder les gens, ceux qui partent en vacances, ceux qui reviennent ... j'aime bien. En partant à 10 Heures du soir, j'arrive le lendemain matin (lundi) à 6 heures. Inutile de passer par le guichet, on est enregistré, il suffit de montrer son passeport et monter directement dans le wagon : pratique et économique !
Mes amis Pascal et Andreï m'attendent à la gare, il suffit de passer à la boutique pour acheter des bières et la vodka avant de se rendre à Veshki, banlieue très proche de Moscou ….et continuer le repas (celui la vieille au soir) En effet, mes amis ne se sont pas couchés car ils m'attendaient en discutant après le repas, je dois faire honneur au repas et on fête les retrouvailles, normal, puis vers 11 heures du matin, tout le monde va se coucher. On décide de se retrouver vers 15 ou 16 heures pour le petit déjeuner. Ok, on est un peu décalé, mais ça fait parti du voyage, non ?
Bien reposé, nous visitons le quartier dans l'après midi....
La maison d'un « novarich » (nouveau riche) de Veshki !
Si vous voulez acheter un appart. dans le coin , sachez que Moscou est réputée pour être une ville ou l'immobilier est excessivement cher (plus qu'aux Etats Unis), voici ce que racontent les moscovites à ce propos : « à Los Angeles, les prix sont moins chers qu'ici, c'est normal, c'est loin du périph.» (de Moscou, bien sûr)
…. puis nous attaquons les chachlikis et la « Tsarskoïe Zolotoï », ma vodka préférée !
Mercredi 18/07 : Moscou → Vladimir (train)
Le matin, Andréï nous dépose à la gare ou nous prenons le train pour Vladimir, c'est là que nous devons récupérer les vélos pour commencer notre « trip cyclo ».
Nous trouvons le magasin ou nous achetons 2 fixies (une seule vitesse et un pignon fixe), ce genre de vélo très simple me plait bien mais la qualité est douteuse … ce n'est pas grave, nous voulons juste que les vélos tiennent 10 ou 12 jours … c'est déjà la fin d'après-midi, alors nous allons poser nos sacs dans une guest-house avant d'entreprendre la visite de la ville.
Cette ville est assez jolie mais elle a moins de charme que d'autres que nous verrons plus tard.
Le départ en vélo est prévu le lendemain matin ….
Jeudi 19/07 : Vladimir → Souzdal (vélo)
Le plan, c'est d'emprunter des petites routes pour éviter les camions. On en a trouvé une qui nous plait bien, elle est petite... puis très petite... c'est un sentier …. qui se termine dans un camp militaire !
Demi-tour ! Après 2 heures de détours, nous trouvons finalement la route idéal et joignons Souzdal vers 18 heures, mission accomplie !
Et nous ne sommes pas déçus … il y a une trentaine d'églises de ce style dans ce gros village !
Vendredi 20/07 : Souzdal → Ivanovo (vélo)
Il pleut à verse, et le temps ne va pas s'améliorer. Par ailleurs, il nous faut passer par Ivanovo pour rejoindre Plës puis longer la Volga ….
Nous décidons d'avancer sous la pluie en empruntant la route principale qui nous mènera directement à Ivanovo, elle est très fréquentée par les camions mais le calvaire durera moins longtemps !Et effectivement, malgré la pluie comme des cordes, malgré le trafic incessant des camions qui nous frôlent, malgré le pédalier du vélo de Pascal qui commence déjà à déconner, nous arrivons à Ivanovo vers 19 heures.
Et là, CAUCHEMAR ! (comme disent les russes) , je ne le sais pas encore, mais c'est déjà notre dernier jour de vélo !...
Mon sac à dos, "caché" sur le porte-bagage, à l'abri de la pluie, a disparu ! et dans ce sac, toute ma fortune : le smartphone allumé (avec les notes persos, photos, mots de passe ...), les documents (passeport, permis, …), la carte bleue, une somme rondelette d'argent liquide, 2 paires de lunettes , les clefs de l'appart. (exemplaire unique), ….
Je repense à la chronologie des évènements et je crois savoir à quel moment il a disparu : Stupide imprudence de ma part, j'ai laissé mon vélo, 3 heures auparavant, sans surveillance pendant environ 15 minutes, avec toutes mes précieuses affaires dessus, ce que je ne fais jamais quand je vais acheter le pain à côté de chez moi !
Je n'ai plus de document d'identité, ni un seul rouble sur moi . Sans la présence de Pascal, j'aurai du être rapatrié avec l'aide de l'ambassade …
Nous sommes trempés, fatigués, inquiets, mais heureusement, nous sommes deux. Alors, nous trouvons un hôtel pour pouvoir poser les sacs. C'est un hôtel dans le pur style soviétique, avec une réceptionniste et un gardien à l'accueil, puis à chaque étage, une réceptionniste qui donne accès à la chambre.
l'hôtel récemment rebaptisé « Voznesenskaya », mais que tout le monde continue d'appeler « Sovietskaya »
Mais pas question, pour la réceptionniste, de m'accueillir dans l'hôtel sans papier, donc direction : commissariat. Et là, c'est compliqué, évidemment. Sans la présence d'interprète, il n'est pas possible d'établir une déclaration. Un policier finit par nous accompagner à l'hôtel et convainc la réceptionniste de m'accepter uniquement parce que j'ai rendez vous le lendemain matin au commissariat …
... et à partir de cet instant, tout le programme est bouleversé !
Samedi 21/07 : Ivanovo L'enquête avec les inspecteurs russes
Une prof de français est réquisitionnée pour l'occasion car tous les interprètes sont en week-end. La pauvre voit, elle aussi, son programme bouleversé. Pour elle, comme pour moi, c'est une première et elle semble aussi désemparée que moi !
A un moment donné, elle me propose de passer une annonce à la télévision locale ( c'est ce qui se fait dans ces cas là, paraît-il ). Alors, forcément, je repense à la prédiction de la jeune tikhvinaise, Cauchemar !
En attendant les policiers ...
Toute cette journée consiste à retracer les évènements de la vieille et essayer de trouver ou et à quel moment précis le sac a disparu. Les policiers font le boulot consciencieusement en nous emmenant sur les différents lieux traversés et c'est seulement le soir que nous rejoignons l'hôtel. Pour moi, la journée était très fatigante car j'essaie de me concentrer sur ce que disent les policiers, les traductions parfois approximatives de l'enseignante, …
Je repars avec une déclaration de vol de papiers d'identité, c'est indispensable, mais insuffisant pour me permettre de circuler librement sur le territoire russe, ni d'ailleurs d'en sortir !
La prochaine étape sera de prévenir l'ambassade pour savoir ce que je dois faire.
Comme j'ai l'intention de continuer le trip puisque mon pote Pascal est là pour me soutenir (et pas seulement financièrement), il faut aussi trouver une solution pour le vélo avec le pédalier hors service.
Dimanche 22/07 : Ivanovo
Aujourd'hui, c'est dimanche et c'est nouveau : il fait beau !
Impossible de joindre l'ambassade (sauf cas de grave danger ) donc nous décidons de profiter de cette journée pour nous balader, profiter du soleil, essayer de trouver la solution pour le vélo, changer les mots de passe pour la banque,etc..., bloquer le téléphone, …
On repère un magasin de vélo ou nous irons dès le lendemain matin (si l'ambassade ne m'oblige pas à revenir sur Moscou)
Lundi 23/07 : Ivanovo → Plës (bus)
Coup de fil à l'ambassade : on me laisse 3 jours pour continuer la rando, jusqu'à jeudi prochain, c'est toujours ça... et puis rendez vous à l'ambassade pour gérer les documents pour le retour en France.
Alors, nous passons la matinée à réparer le vélo : une pièce de rechange dans un premier magasin, puis l'outil nécessaire dans un second magasin.
Vers 13 heures, nous enfourchons les vélos, objectif : Plës ...
…. 5 km plus loin, à nouveau, le vélo est cassé !
C'est le deuxième coup dur, à l'évidence, nous ne saurons pas réparer le vélo rapidement. Alors, c'est décidé, nous cherchons le bus et tentons de rejoindre Plës dans la journée.
Comme il faut se débarasser des vélos presque neufs, je les propose à une famille de gitans qui traine dans la gare routière. Ils sont surpris et certains commencent à me coller les basques : « - puisque tu donnes des vélos, tu peux aussi donner de l'argent ! ».
« - Vous n'aurez pas un kopek ! » (d'ailleurs, je n'en ai plus). Je fais remarquer aussi que ces vélos, ils peuvent les vendre. Je commence à être un peu fâché, ils lâchent le morceaux et ont l'air de penser que je suis un peu fou, c'est peut-être un peu vrai …
Nous arrivons à Plës en fin d'après-midi, c'est un gros village situé sur le bord de la Volga et accroché à une colline. A la recherche d'un gite pour la nuit, nous croisons une jeune moscovite, Elena, qui, elle aussi, cherche à se loger et nous propose son aide. Par le hasard des rencontres, nous apprenons que Tania, la marchande de poissons, a des chambres à louer. Puis finalement, c'est la marchande des fraises et groseilles qui nous amène chez une amie qui loue deux chambres, la vie est douce ….
nôtre « hôtel »
Nous nous retrouvons finalement avec un groupe d'enfants en vacances dans le coin. La monitrice qui les accompagne nous invite à nous joindre à eux pour nous faire partager la ballade. Perchés sur la falaise, avec en contrebas, la Volga, le village et l'église, dont le clocher se trouve à notre hauteur. Nous admirons le panorama et écoutons avec plaisir le concert de carillon, c'est un pur moment ! magique !
Voici la photo prise à Plës, de cet endroit précis !
l'ancien hôpital
Mardi 24/07 : Plës → Kostroma (bus)
Il nous reste une seule journée avant de revenir à Moscou pour aller à l'ambassade. Et c'est bien tentant d'aller à Kostroma et saluer Nina Koukouchkina ! (si vous ne comprenez pas, c'est normal, vous avez qu'à prendre des cours de russe ! ) Malgré le temps limité, c'est jouable, alors nous nous retrouvons à Kostroma en fin d'après-midi.
Arrivés à la gare routière de Kostroma, pour gagner du temps, nous demandons à un jeune type s'il connait des hôtels dans le coin, disons dans les 2000 roubles (50€) .Il s'appelle Vassili et va nous trouver ça ! Et même, ça lui fait plaisir, un peu trop peut-être …
Très vite, nous sommes embarqués dans son tourbillon, sa tchatch, il siffle, les filles, les taxis, négocie, parlemente... nous ne comprenons pas grand chose, seulement cela : c'est Vassili l'embrouille !
Il finit par nous dégoter une péniche- hôtel très agréable au bord de la Volga, 1000 roubles, une affaire !
Pour fêter ça, nous l'invitons à partager notre repas et commandons des bières. Mais, il faut aussi commander une bouteille de Vodka ! " Vous êtes en Russie, les gars ! "
Avez vous vu le film " very bad things " ?
Nous échappons à ce scénario, bien sûr, mais il faudra écarter fermement notre nouvel ami dans la nuit, avant que les choses tournent en vrille ….(heureusement car je n'ai toujours pas le laisser-passer, et on me dira plus tard, à l'ambassade, " faites vous discret ! ... ")
Mercredi 25/07 : Kostroma → Moscou (bus)
Au réveil, nous avons un peu mal aux cheveux …
Dommage, nous n'avons pas le temps de visiter, il faut se diriger vers la gare et rejoindre Moscou !
Dernier coup d'oeil sur Kostroma avant le départ
Voilà la fin du périple, la dernière partie, je la verrai une autre fois... pour l'instant, rendez-vous chez Andréï ou nous serons accueillis, une fois de plus en Russie, comme des princes !
Jeudi 26/07 : Moscou (l'ambassade)
Je suis très bien reçu à l'ambassade. Cependant, le transit sans passeport par la Biélorussie pose problème. Alors il faut prévenir les autorités de l'aéroport de Minsk pour dire que je passerai là dimanche prochain.
Sinon, regardez le plan du métro de Moscou : il est bien pratique car il y a cette fameuse ligne en anneau. Celle-ci coupe toutes les autres lignes et permet en un seul changement, d'atteindre n'importe quelle station vers l'intérieur ou vers l'extérieur de l'anneau !
Il est pas seulement pratique, le métro, il est vachement beau ! C'est le « palais du peuple », a dit Staline
Vendredi 27/07 : Moscou (la bania)
C'est une journée détente chez Andreï, Youlia nous avait préparé de bons plats typiques russes, nous décidons, Pascal et moi, de préparer des plats typiques français : le boeuf bourguignon et les escalopes normandes.
Sur le terrain, à côté du potager, il y a la bania. Andreï prend le soin de tout préparer pour le soir : il faut allumer le poële plusieurs heures avant pour atteindre la bonne température, choisir les branches feuillues de bouleau, etc...
Vous avez reconnu ? C'est Andreï, Pascal et moi !
Samedi 28/07 : Moscou (la visite)
Cette dernière journée est consacrée à la visite de la ville. Nous allons directement en plein centre pour revoir la place rouge puis ballade du côté d'Arbat.
place rouge
Sainte Bazile
rue Arbat
Dimanche 29/07 : le retour à Caen
Voilà, c'est fini ...
De bonne heure, départ de l'aéroport de Domodedovo. Moi, j'ai pris le retour par Minsk, mauvaise pioche ! Je dois rejoindre Pascal à Paris qui lui, passe par Zürich.
Arrivés à Minsk, on me fait sortir de l'aéroport directement avec nos bagages. Puis, il faut entrer à nouveau pour prendre l'avion vers Paris. A l'ambassade, on m'avait dit de refuser de sortir de la zone de transit, mais je n'ai pas le choix, les accès à cette zone sont condamnés et c'est ainsi pour tous les voyageurs …
On me fait patienter, feignant de ne pas comprendre le document fourni par l'ambassade. Des russes rencontrés dans l'avion ont envie de m'aider à faire le forcing. Ils sont remontés contre les biélorusses, me disant qu'ils ne veulent qu'une chose : un bakchich. Les employés biélorusses les invitent fermement à passer en zone d'embarquement. Ceux qu'ils font, me regardant d'un air désolé...
Je joue un peu l'imbécile en disant aux employés des douanes que j'ai rendez vous avec la police de l'aéroport. Et j'attends tranquillement qu'on me laisse passer …. ce qui se passe juste avant le décollage de mon avion, youpi !
Quelques heures plus tard, mon neveu Vincent va m'aider à forcer la serrure de mon propre appartement ...
En conclusion :
Bien sur, je suis déçu de n'avoir pas réalisé le plan prévu. Pourtant, je ne peux m'en prendre qu'a moi-même, et au hasard aussi ….
et mon intérêt, non, ma passion pour ce pays, le peuple russe, sa culture, tout cela reste entier !
À ce propos, l'âme russe, c'est quoi ? Est-ce un mythe ?
Oui, c'est un mythe, je crois... mais aussi les mythes existent .. et même ils sont fondateurs !
Beaucoup de choses, dans l'histoire du peuple russe, faite de tragédies, de sacrifices, permettent de comprendre ce que c'est, « l'âme russe ». Mais la nature aussi explique cette identité : à certains endroits du territoire, il fait 40 ° l'été, et -40 ° l'hiver !
Alors, forcément, ça forge le caractère, fait d'excès en tout de genre, de passion et de raison, de légèreté et de gravité, de chaud et de froid, de fierté et de résignation, de joie et de souffrances aussi …
Il y des années, j'entends un fait divers qui se passe en Russie :
au cours d'une soirée trop arrosée, 2 types s'engueulent à propos de l'existence de Dieu, et ça se termine par un mort !
j'étais pas trop étonné ...
Enfin, tout ça, c'est des impressions, des idées, d'après ce que j'ai entendu ou observé, ou ce que je crois savoir ...
… mais si vous avez un autre point de vue, surtout si vous êtes russe, alors exprimez vous ! ;-) →
et pour terminer, voici ma liste (définitivement incomplète) des trucs russes que j'aime bien :
Gogol : Le nez, journal d'un fou, …
Dostoïevski : L'idiot, les frères Karamazov, …
Zamiatine : Nous
Stravinsky
la salade « Chouba »
la vodka « Tsarskoïe Zolotoï »
crocodile Guena et Tchebourachka
… et c'est ce genre de choses qui me fait douter... « après tout, peut-être que Dieu existe ?... »
Poka poka !
Paco, le 1er septembre 2012